dimanche 2 mars 2008

Escalade et diabète

Gérard a publié un article dans la revue Défi de décembre 2007, revue éditée par l'USD (dont le site est www.usd.asso.fr ). Profitons en pour annoncer la "13e fête des diabétiques qui bougent" qui aura lieu les 10, 11 et 12 mai (Pentecôte) 2008 au CREPS de Reims.
Je vous laisse lire ci-dessous le texte de l'article de Gérard.


L’escalade, c’est ma passion

Diabétique depuis l’âge de 18 ans, j’ai 59 ans aujourd’hui. Loin de rivaliser avec les sportifs de l’extrême j’ai toujours tenu à me bouger pour « oublier » mon diabète. J’ai fait un peu de tout, en amateur, foot, tennis, vélo, jogging, randonnée et surtout maintenant montagne et escalade.

Voici un modeste témoignage en souhaitant vous faire partager ma passion. J’ai toujours été un amoureux de la montagne avec une prédilection particulière pour le Massif du Mont-Blanc. Tout jeune, je passais un mois d’été à Chamonix ; j’ai vu la construction du téléphérique de l’Aiguille du Midi ; j’ai été initié par mon père à l’envoûtement qu’exerce sur moi ce lieu magique. J’ai suivi là-bas les conférences de Lionel Terray, de Gaston Rebuffat et de Roger Frison-Roche. Je connaissais tout des drames du Massif… le crash du Malabar Princess, la tragédie de la cordée Bonatti au pilier du Freney au Mont Blanc, l’agonie de Vincendon et Henry dans la carcasse de l’hélicoptère venu leur porter secours. Je peux me targuer de connaître chaque sommet, chaque aiguille, chaque couloir et presque chaque fissure…

Ma passion

La montagne, je ne la pratiquais qu’à travers de longues randonnées, fasciné par toute cette beauté. La haute montagne, je ne l’imaginais qu’en rêves, presque de façon fantasmatique ; ce n’était pas pour moi, c’était trop grand, trop inaccessible, une vraie passion où se mêlaient peur, amour et conscience de mon infinie faiblesse face aux éléments. Pour mes cinquante ans, on m’a vraiment forcé la main, j’ai fait une course au Mont-Blanc du Tacul, à un peu plus de 4300m ; C’était en 1998, juste 2 jours après la finale de la coupe du monde de foot ; quel bonheur ce fut de fouler le sommet, inoubliable, grandiose, irréel ! La remontée du col du Midi à l’aiguille du Midi fut vraiment éprouvante ; Heureusement j’avais l’excuse de demander au guide de me laisser le temps de mesurer ma glycémie tous les 50 mètres.

Sitôt après j’ai intégré un club d’escalade dont je suis le grimpeur le plus âgé. Chaque année, entre le mur d’escalade, les falaises de Côte d’Or (j’habite à Beaune) et mes 2 semaines à Argentière, tout près de Chamonix, j’ai acquis un niveau qui me satisfait pleinement. Dans cette discipline le diabète ne m’a jamais posé de problème ; j’ai toujours pu faire une glycémie à un relais, même s’il n’est pas des plus confortables, et puis dans le doute 2 ou 3 sucres peuvent parer à toute éventualité hypoglycémique.

A raison de 3 courses par semaine à Chamonix j’ai pu goûter aux plaisirs de la neige, du mixte et surtout du rocher.

L’ascension

Cette année, j’avais envie de me lancer un défi dans les Aiguilles Rouges, sur le versant sud de la vallée de Chamonix, à la Chapelle de la Glière, par l’arête sud. C’est, sinon une course mythique, du moins une de celles qui figurent dans le livre culte de Gaston Rebuffat, «Les 100 plus belles courses du Massif du Mont-Blanc."

Ce vendredi 27 juillet 2007, accompagné de Manu MEOT, guide chamoniard dynamique et de surcroît super sympa qui m’accompagne tous les étés, nous prenons le télécabine de la Flégère, puis le télésiège de l’Index. Dans le téléphérique, Manu me présente René PATTY, qui en 1964 avait été un des ouvreurs de la voie de la Chapelle, c’est un signe.

Arrivés à l’index, il souffle un vent froid et des nuages lenticulaires coiffent déjà le Mont-Blanc en face de nous - un drôle de temps - Manu cherche à tergiverser, arguant du froid qu’il allait faire sur l’arête, mais devant ma détermination nous attaquons la marche d’approche, plus longue et moins évidente que prévue. Quelques gradins faciles nous amènent au pied de la voie où nous nous équipons. Quatre cordées sont déjà devant nous s’escrimant dans un départ athlétique en « dulfer » (progression en opposition pieds-mains). J’ai dès lors tout loisir de faire un contrôle de ma glycémie. A 1,95g/l (10,8mmol/l) elle est impeccable avant l’effort.

Dès que Manu atteint le premier relais et la corde est avalée et tendue, je m’engage dans le passage en dulfer. Que c’est physique ! J’arrive près de lui complètement gazé. Il a installé un relais sommaire sur un becquet ; au relais équipé se serrent déjà 6 personnes. A peine le temps de reprendre mon souffle et mon guide repart en tête doublant poliment les autres cordées qui s’échinent. « Faites comme si je n'étais pas là » leur dit-il amicalement en les dépassant ; une dégaine de temps en temps pour un semblant d’assurage, les relais s’enchaînent. A la cinquième, nous décrochons les autres cordées, que nous ne devons plus revoir. Je trouve mon rythme et la grimpe se fait plus fluide : «Tu es comme un diesel, il te faut du temps pour chauffer mais après on ne t’arrête plus…» se moque Manu. Sensation bizarre… j’avale 4 sucres tirés de ma poche en pleine paroi… on verra bien. Le vent s’est calmé, il fait presque bon, le Massif est complètement dégagé, c’est super, Chamonix s’agite tout en bas. Nous voilà à la huitième longueur, au passage dit du rasoir, un passage impressionnant, aérien, où nous progressons avec les mains sur le fil du rocher et en comptant sur l’adhérence des chaussons. Je pense à cet instant à Gaston Rebuffat qui a immortalisé ce passage dans le livre que j’ai cité plus haut ; tous les gens qui aiment les livres de montagne connaissent cette photo.

Mes chaussons presque neufs me blessent un peu, mais tout est si beau - pas d’angoisse, pas de stress - la sérénité, je me sens quelqu’un d’autre. Encore 3 longueurs dont nous nous délectons et nous voici au pied de la Chapelle. Une belle vire nous permet d’envisager un petit casse-croûte bienvenu. Une bonne demi-heure à grignoter, à parler montagne, à regarder surtout le Mont-Blanc, les Aiguilles, le vide sous nos pieds… Revenons sur terre… ma glycémie est encore à 1,95g/l. Je m’administre 6 unités d’Humalog® avant mes agapes. Bizarre ce diabète ! Le temps de finir la dernière goutte d’eau de notre gourde, nous attaquons la Chapelle et le Clocher en 5a et 5b, le tout en une seule longueur de corde au lieu des 2 prévues et je passe facile. Je me « vache » à l’anneau de rappel et me dresse debout tout en haut du clocher – pas de sensation de vertige, un état second, une douce jouissance, le bonheur. « Sommet succès » me complimente Manu ; puis il lance à tue tête comme il aime le faire un yodler tyrolien qui nous revient en écho.

C’est bête, j’en ai presque pleuré de bonheur. Certes, ce n’était pas « difficile » mais j’avais tellement envie de faire cette course, non pas pour me dépasser, je répugne à me faire trop mal, mais pour jouir du plaisir de grimper, de former une cordée, de ne penser qu’à la montagne. Là, le diabète n’a plus d’importance. Quels souvenirs déjà et bien sur : A chacun son Anapurna !

Gérard G. (Beaune - 21)

Article initialement paru dans le numéro 71 de la revue Défi éditée par Union Sports et Diabète, reproduit avec l'aimable autorisation de Défi



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